mercredi 22 octobre 2025

Les termes Madīna (ville) et Qarya (village) dans le Coran sont-ils des synonymes ou est-ce plutôt des preuves d'interpolations ?

Il y a deux sourates qui a intrigué les islomologues comme les savants musulmans. Il s'agit de deux passages coraniques dans deux histoires différentes où qarya, traduit par village, devient plus loin une madīna que l'on traduit par ville. Il n'en fallait pas plus pour que des islamologues y voient des preuves de réécritures par différents scribes du Coran. D'autres y ont vu une indication que ces deux termes étaient des synonymes à l'époque de la révélation.



Illustration de ce que pourrait être la différence entre une ville et un village


Voyons ce que disent ces deux sourates qui racontent deux histoires différentes mais qui à chaque fois transforment la qarya en madīna :

1) Coran 18:77 et 82
🔹 verset 18:77
فَانطَلَقَا حَتَّىٰ إِذَا أَتَيَا أَهْلَ قَرْيَةٍ اسْتَطْعَمَا أَهْلَهَا فَأَبَوْا أَنْ يُضَيِّفُوهُمَا فَوَجَدَا فِيهَا جِدَارًا يُرِيدُ أَنْ يَنقَضَّ فَأَقَامَهُ
« Ils [Moïse et al-Khidr] partirent donc, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent aux habitants d’une cité (ahl qaryah) ; ils demandèrent de la nourriture à ses habitants, mais ceux-ci refusèrent de les accueillir. »

🔹 verset 18:82 :
وَأَمَّا الْجِدَارُ فَكَانَ لِغُلَامَيْنِ يَتِيمَيْنِ فِي الْمَدِينَةِ وَكَانَ تَحْتَهُ كَنزٌ لَّهُمَا
« Quant au mur [al-Khidr s'adressant à Moïse], il appartenait à deux orphelins de la cité (al-madīna), et il y avait dessous un trésor qui leur appartenait. »

2) Coran 36:13 et 20
🔹 Verset 36:13
وَاضْرِبْ لَهُم مَّثَلًا أَصْحَابَ الْقَرْيَةِ إِذْ جَاءَهَا الْمُرْسَلُونَ
« Donne-leur en parabole l’exemple des habitants de la cité (aṣḥāb al-qaryah), quand des envoyés leur vinrent. »
🔹 Verset 36:20
وَجَاءَ مِنْ أَقْصَى الْمَدِينَةِ رَجُلٌ يَسْعَى
« Et vint du plus lointain de la cité (al-madīna) un homme qui accourait. »


Cependant, je découvre à ma surprise d'autres passages coraniques qui montrent que la question de qarya et madīna est encore plus complexe que ce que les spécialistes ne l'ont envisagé. J'ai moi même écrit une réflexion qui était pour le coup hors sujet.
Il s'agit de versets disséminés dans divers sourates (cinq), ce qui a fait qu'aucun spécialiste ne l'a remarqué parmi les ouvrages que j'ai lu (G.Dye, Grodzky, Rippin et Younes dans "The Qur’an Seminar Commentary" de 2016 et Nasser Rabbat, dans "Encyclopaedia of the Qur’ān" de 2001) et probablement personne parmi les orientalistes jusqu'en 2016, en tous cas :

Il s'agit du village de Loth dans quatre sourates qui devient une ville dans la sourate 15 :
- 15: 67 (c'est une madina pour Dieu)
- 7: 82 (c'est une qarya pour ses habitants)
- 21:74 (c'est une qarya pour Dieu)
- 27:56 (village pour ses habitants)
- 29:31(village pour les anges) et 34 (village pour les anges).

15:67
وَجَاءَ أَهْلُ الْمَدِينَةِ يَسْتَبْشِرُونَ 
Or les gens de la ville vinrent [à Loth], se réjouissant


 7:82
وَمَا كَانَ جَوَابَ قَوْمِهِ إِلَّا أَن قَالُوا أَخْرِجُوهُم مِّن قَرْيَتِكُمْ إِنَّهُمْ أُنَاسٌ يَتَطَهَّرُونَ
 La seule réponse de son peuple fut : « Expulsez la famille de Loth, de votre cité [village] ! Ce sont des gens qui affectent la pureté. »


21:74
وَلُوطًا آتَيْنَاهُ حُكْمًا وَعِلْمًا وَنَجَّيْنَاهُ مِنَ الْقَرْيَةِ الَّتِي كَانَت تَّعْمَلُ الْخَبَائِثَ إِنَّهُمْ كَانُوا قَوْمَ سَوْءٍ فَاسِقِينَ
Loth Nous avons donné Illumination (ḥukm) et Science et Nous l’avons sauvé de la Cité [village] qui perpétrait les turpitudes et [dont les habitants] furent un peuple mauvais et pervers.


27:56
فَمَا كَانَ جَوَابَ قَوْمِهِ إِلَّا أَن قَالُوا أَخْرِجُوا آلَ لُوطٍ مِّن قَرْيَتِكُمْ إِنَّهُمْ أُنَاسٌ يَتَطَهَّرُونَ
 La seule réponse de son peuple fut : « Expulsez la famille de Loth, de notre cité [village] ! Ce sont des gens qui affectent la pureté ! »


29:31
وَلَمَّا جَاءَتْ رُسُلُنَا إِبْرَاهِيمَ بِالْبُشْرَى قَالُوا إِنَّا مُهْلِكُو أَهْلِ هَذِهِ الْقَرْيَةِ إِنَّ أَهْلَهَا كَانُوا ظَالِمِينَ
 Quand Nos émissaires vinrent à Abraham avec la bonne nouvelle, ils déclarèrent : « Nous allons faire périr la population de cette cité [village]. La population de cette cité a été injuste. » 


29:34
إِنَّا مُنزِلُونَ عَلَى أَهْلِ هَذِهِ الْقَرْيَةِ رِجْزًا مِّنَ السَّمَاءِ بِمَا كَانُوا يَفْسُقُونَ
Nous allons faire descendre, sur la population de cette cité [village], un cataclysme du ciel, pour prix de ce qu’ils ont été pervers. »



Que comprendre de ces versets si ce n'est que qarya et madīna sont des synonymes voire qu'il y a eu un travail scribal avec des écritures et réécritures ? Je me suis longuement mis à réfléchir à ce sujet afin d'éviter cette explication qui n'est autre que celle de la paresse intellectuelle car pour moi il y a forcément une distinction qui a échappé à tous. En effet, je suis convaincu que les villes égyptiennes du temps de Joseph et de Moïse ne pouvaient être des villages. Idem pour Yathrib. C'était autre choses de plus imposantes que de simples villages.
Ce qui me fait dire que les villes ne pouvaient être des villages mais que certains villages pouvaient être aussi des villes ou pouvaient en avoir certaines caractéristiques. Cette explication pourrait nous aider à mieux interpréter les versets qui parlent du village/ville de Loth mais aussi finalement des sourates 18 et 36 que j'avais au début totalement mal interprété.

Je me mets donc à explorer une piste :
Si l'on accepte que certains villages ont des aspects de villes dans ces passages coraniques, que peut-on remarquer à leurs sujets ?

✔️ que le mot qarya dans 18:77 est associé à ses habitants qui refusèrent de donner de la nourriture à Moïse et al-Khidr. Tandis que dans 36:13 la qarya est associée à ses habitants qui ont refusé de croire aux prophètes. Pour le Coran 7:82 et 27:56, le mot qarya est associé au peuple de Loth qui voulait l'expulser car il voulait les purifier du mal. Pour le Coran 21:74, le mot est associé au peuple qui faisait des choses immondes et perverses. Pour le Coran 29:31, le mot est associé à sa destruction car son peuple est injuste. Enfin pour le Coran 29:34, le mot est associé à sa destruction aussi.

Ici, le terme qarya est systématiquement associé aux choses péjoratives.

✔️ que le mot madīna dans le Coran 18:82 est associé à deux enfants dont le père était pieux tandis que dans le Coran 36: 20 la madīna est associée à un homme croyant qui surgit du bout de la ville pour appuyer les trois prophètes.
Pour le Coran 15:67, le mot madīna est associé à la bonne nouvelle de l'arrivée d'hommes (qui étaient en réalité des anges) dont ses habitants étaient venu s'enquérir sans savoir que c'était une chose qu'ils allaient détester (arrêter d'aller vers les hommes plutôt que les femmes).

Ici, le terme madīna est systématiquement associé aux choses positives.

Conclusion :
Peut-être que pour ces villages ayant des aspects de villes, Dieu dans le Coran met en avant le terme qarya lorsqu'il est associé aux choses négatives pour les rabaisser et Il met en avant le terme madīna lorsqu'il est associé aux choses positives pour les élever. Si c'est le cas, et il semble bien l'être, la rhétorique autour de ces deux termes est pour le moins sophistiquée. Cette lecture contredit la thèse des interpolations scribales et suggère au contraire que le Coran est très probablement le fruit d’une transmission remarquablement fidèle.



Lisez l'avis de Grok à ce sujet, c'est très intéressant :
https://grok.com/share/c2hhcmQtNA%3D%3D_3934e1ec-567a-44f1-8e37-fb47190a6e49

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